Investir en IA est-il toujours aussi pertinent au regard des tendances boursières et économiques actuelles ? La réponse à cette question est donnée par Guillaume Uettwiller, gérant du fonds CPR Invest – Artificial Intelligence. Pour Guillaume Uettwiller l’IA est une infrastructure d’avenir qui verra émerger dans les 10 ans une nouvelle génération d’entreprises.
AI For Good AI For Bad – L’intelligence artificielle est-elle déjà une bulle ou faut-il être patient en tant qu’investisseur ?
Guillaume Uettwiller -L’émergence d’une technologie de rupture suit souvent un cycle d’adoption bien identifié : une phase initiale d’engouement, souvent marquée par des attentes démesurées, suivie d’un creux de désillusion, avant une adoption plus progressive mais bien plus transformatrice. Dans ce type de cycle, les investisseurs ont tendances à surestimer l’impact à court terme d’une technologie et à sous-estimer les effets à long terme. L’intelligence artificielle, et en particulier l’IA générative, n’échappe pas à cette dynamique. Depuis deux ans, elle a été un moteur quasi exclusif de la performance des marchés actions mondiaux, avec une concentration inédite des gains autour de quelques grandes capitalisations technologiques. Cette surperformance soulève la question légitime d’une bulle. Mais encore faut-il bien distinguer la bulle boursière, possible sur certains titres à court terme, de la bulle technologique, qui supposerait que l’innovation elle-même soit surévaluée — ce qui ne nous semble pas être le cas ici.
En bourse, la dynamique actuelle repose en grande partie sur la construction de l’infrastructure de l’IA, ces fameux centres de données accélérés qui fournissent la puissance de calcul nécessaire à l’entrainement/aux calculs des modèles. Les leaders de ces segments ont vu leur croissance dopée par les investissements massifs des hyperscalers qui culminent à près de 330 milliards en 2025. Mais cette croissance est évidemment dépendante des dépenses d’investissement (capex) de ces géants, qui sont par nature cycliques et dépendants de la capacité des entreprises à monétiser cette technologie. Ici, la monétisation effective de l’IA générative reste une promesse encore fragile : dans le logiciel, peu d’acteurs ont pour l’instant démontré un impact clair sur leurs revenus ou leurs marges.
La volatilité des marchés de ces dernières semaines reflète l’instabilité naturelle d’un secteur en pleine mutation. Mais si l’histoire nous enseigne une chose, c’est que ces inquiétudes, bien que légitimes à court terme, ne remettent pas en cause la trajectoire de long terme. Comme l’électricité et Internet avant elle, l’IA traverse sa phase de maturation, essuyant les critiques des sceptiques tout en poursuivant inexorablement sa progression. Le défi pour les investisseurs est de dépasser l’effet de mode et d’identifier, dans la durée, les modèles économiques viables et les vrais bénéficiaires de cette transformation.
AI For Good AI For Bad– Selon les études, entre 8% et 12% des entreprises (hors PME/PMI) ont déployé un projet à l’échelle en IA. Comment les entreprises s’approprient-elles l’IA ?
Guillaume Uettwiller -Il est vrai que l’adoption de l’IA générative a été spectaculaire côté grand public, avec des outils comme ChatGPT, Perplexity ou même Mistral qui ont rapidement conquis des centaines de millions d’utilisateurs. Côté entreprises, l’enthousiasme est réel, mais les cas d’usage à grande échelle restent encore rares : de nombreux projets sont encore au stade pilote. Néanmoins, quelques domaines se démarquent déjà, notamment l’assistance au développement logiciel, comme la solution GitHub Copilot utilisée par plus de 1,3 million de développeurs, qui permet un gain de productivité de 25-35% par développeur. De même, l’intégration de l’IA générative transforme profondément la relation client, en automatisant efficacement un volume considérable de requêtes. Des entreprises comme Klarna ont automatisé l’équivalent de 700 conseillers à temps plein grâce à un agent conversationnel, réduisant ainsi les coûts tout en augmentant la réactivité et la satisfaction client. Enfin, pour les géants du web comme Google et Meta, ils bénéficient déjà d’un retour massif sur investissement grâce à l’optimisation de leurs algorithmes publicitaires. En santé, l’IA joue un rôle décisif dans le diagnostic radiologique et dans l’élaboration de traitements personnalisés en oncologie, preuve que l’impact multisectoriel de l’IA est bien réel et en pleine expansion.
Mais l’IA ne se contente pas d’être générative ; elle devient progressivement agentique. Cette évolution marque un tournant : l’IA agentique, qui agit de manière autonome en interagissant directement avec des systèmes ou des individus, est désormais intégrée dans des outils comme Salesforce AgentForce. Ces IA excellent dans les fonctions qui nécessitent un raisonnement cognitif, comme répondre à des questions complexes, proposer des recommandations personnalisées et effectuer certaines tâches administratives pour le compte des employés.
AI For Good AI For Bad – Avec Internet, puis le digital, on a assisté à un profond renouvellement des acteurs de la tech, notamment aux Etats-Unis. Pensez-vous que ce cycle d’innovation tech va permettre de voir émerger de nouvelles sociétés B2B et B2C innovantes dans les mêmes proportions ?
Guillaume Uettwiller « L’histoire ne se répète pas, mais elle rime souvent ». Depuis deux décennies, les géants de la tech dominent les marchés boursiers, occupant aujourd’hui 7 des 10 premières capitalisations mondiales. Ces entreprises ont atteint un niveau de domination tel qu’il est peu probable qu’elles soient remplacées à court terme dans leurs propres marchés.
Cela dit, l’histoire nous montre que même les leaders technologiques peuvent être éclipsés. Si l’on regarde le classement des plus grandes capitalisations boursières mondiales en 2000 et en 2024, une seule entreprise figure dans les deux : Microsoft. À chaque vague technologique — serveur mainframe, PC, internet, smartphone, IA — ce sont souvent de nouveaux acteurs qui captent l’essentiel de la valeur. IBM dominait l’ère du mainframe, Intel celle des PC, Apple celle des smartphones ; aujourd’hui, Nvidia semble prendre la tête sur le front du hardware pour l’IA.
Nous entrons justement dans une nouvelle phase, portée par l’IA générative, les agents autonomes et l’automatisation à grande échelle. Des entreprises comme OpenAI, Anthropic ou Databricks, avec parfois moins de 1 000 employés, parviennent déjà à remettre en question des positions établies. Ce cycle technologique crée donc les conditions propices à l’émergence de nouveaux leaders, tant en B2B qu’en B2C. Il est fort probable que dans dix ans, plusieurs des grandes capitalisations mondiales seront des entreprises qui n’existent pas encore aujourd’hui — ou qui viennent tout juste de naître.